L'histoire portuaire des rives du Cher
Bon, il fallait s'y attendre. Sur les rives humides et herbeuses du Cher, à hauteur de l'Abricot, parmi les ronces et les branchages, impossible de déceler une trace du port de Vierzon. Pourtant, la carte de l'Atlas de Trudaine, tracée au XVIII e siècle, est formelle. C'est là qu'était stocké le « bois flotté » sur la rivière, là que l'on chargeait et déchargeait les bateaux pleins de marchandises qui l'empruntaient. C'était il y a plus de deux cents ans…
« Un fort joli port »Aujourd'hui, les embarcations et les monceaux de bûches descendant le courant ne sont qu'un lointain souvenir. Mais, longtemps, Vierzon a été un port de commerce. Pour se faire une idée de l'activité qui y régnait, il faut feuilleter les écrits touffus de René Béchereau, chroniqueur contemporain de la carte de Trudaine. Dans ses Antiquités et mémoires sur Vierzon et autres villes du Berry, rédigés dans les années 1740, il décrit « un fort joli port au pied de la ville, où l'on dépose grande quantité de bois merrains (pour la construction ou pour faire des douves de tonneau, N.D.L.R) que l'on y fait descendre par la rivière du Cher, du Boubonnais, de la Combraille et des pays qui sont à portée de cette rivière. »
Le texte donne une vision d'intense négoce. En 1720, Béchereau, qui était fonctionnaire royal, avait fait estimer le volume de bois passant par le port de Vierzon à « 4 millions de livres ». Il signale aussi le transit de pierres venant des carrières de Lye (Indre) et de Bourré (Loir-et-Cher), de meules « à aiguiser », d'ardoises… Du vin, du blé. Et même du hareng et de la morue. Rien d'étonnant à la présence de ces cargaisons de poisson de mer puisque, d'après l'auteur, le commerce était tourné aussi vers l'aval, la Touraine, la Bretagne, la région nantaise.
La situation de Vierzon, au confluent de plusieurs cours d'eau, avait joué en faveur de cette activité. On passait même d'une rivière à l'autre. « Les sels pour Bourges, Dun-le-Roi (Dun-sur-Auron, N.D.L.R) et Saint-Amand-Montrond montaient autrefois par la rivière d'Yèvre jusqu'à Bourges », assure Béchereau. En son temps, leur transport se faisait déjà par la route, depuis un demi-siècle.
Y avait-il des quais de pierre le long du Cher ? Où n'était-ce qu'une simple grève ? Difficile de le savoir. La carte de Trudaine n'indique qu'un vaste espace symbolisé en vert pâle. Le cadastre, établi plus tard sous Napoléon, indique des « quais », à l'emplacement du parc des expositions… « Le secteur a beaucoup changé, constate Alain Rives, historien membre du Cercle historique du pays de Vierzon. D'après les cartes anciennes, l'île du Saint-Esprit s'étendait bien plus en aval que de nos jours. De tout temps, les rives ont été mouvantes. »
Navigable jusqu'au XIX e siècleMême le percement du Canal de Berry n'a pas sonné le glas des bateaux sur le Cher. La rivière a été utilisée jusqu'au XIX e siècle. En 1813, d'après les recherches de l'archéologue Valérie Mauret-Cribellier, de la Direction régionale des affaires culturelles du Centre, le Cher était flottable, c'est-à-dire utilisable pour le flottage de bois, de Montluçon (Allier) à Vierzon. Et on pouvait toujours y naviguer de Vierzon à la Loire, en 1891. Le cours d'eau n'a été radié de la nomenclature des voies navigables qu'en 1957.
Des siècles avant la plate-forme logistique qui doit s'installer cette année, Vierzon était un n'ud de voies de communications. Même si, déjà, selon certains, la ville n'attirait pas assez… « Il ne manque que de riches négociants pour y établir des magasins », regrette René Béchereau, dans sa description de Vierzon. C'était en 1747…
Vincent Michel
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